22 septembre 2015

Interview de M. Olivier Guéniat (2)

Voici maintenant la suite de l'interview d'Olivier Guéniat. Vous pouvez retrouver la première partie ici.

Entremont Autrement : comment expliquez-vous que le sentiment d’insécurité ne diminue pas en Suisse, malgré ces statistiques positives sur la criminalité ?

Olivier Guéniat : attention à ne pas croire à tort que le sentiment d'insécurité diminue en Suisse. En effet, le rapport annuel "Sicherheit 2015", réalisé par le Center for Security Studies de l'ETH Zürich 4 et qui retrace un sondage sur la sécurité en Suisse, montre très clairement (en page 74) que la part des Suisses qui se sent "très en sécurité" et "plutôt en sécurité" a passé de 69% en 1991 à 91% en 2015. C'est très spectaculaire en termes de bien-être. Par contre, lorsque l'on titille spécifiquement la population dans des sondages portant sur des stéréotypes, elle surévalue systématiquement l'impact du crime réel, surtout lorsque les questions portent sur des notions anxiogènes d'évaluation du risque d'être victimisé. De manière générale, lorsque l'on demande à la population, dans les sondages portant sur le sentiment d'insécurité, ce qui la dérange le plus, ce sont systématiquement des problèmes liés à la vie communautaire locale ou régionale qui sont exprimés, comme les ordures et la saleté (littering), les jeunes qui traînent dans la rue, le vandalisme, les drogués et les risques inhérents à la circulation routière. Et on remarquera que les sujets politiques sécuritaires électoralistes portent plus sur la libre circulation européenne que sur la vie dans les quartiers.


Entremont Autrement : tous les indicateurs sont à la baisse, mais paradoxalement les prisons sont saturées; y a-t-il une explication ?

Olivier Guéniat : oui, il y a plusieurs explications:

  • D'une part, la surpopulation concerne avant tout la Suisse romande, connue par son défaut d'infrastructures. En un mot, elle paye son manque d'investissements durant les 20 dernières années.
  • D'autre part, il y a eu le changement intervenu en 2007 des jours-amendes avec sursis…Ce changement visait à vider les prisons, mais il a eu un effet totalement pervers en créant un bourrelet de personnes amenées à purger des amendes converties en peines privatives de liberté exécutoires.
  • Parallèlement, il y a eu énormément de dénonciations à la Loi fédérales sur les étrangers relatives à des requérants d'asile déboutés. A chaque fois, les dénonciations ont impliqué des ordonnances pénales de plus en plus sévères, coïncidant alors à des exécutions de peines privatives de liberté massives et longues, notamment pour les récidivistes. En effet, dénoncer plusieurs fois un requérant débouté (NEM) durant une courte période revient à lui infliger des centaines de jours d'incarcération s'il ne quitte pas le territoire suisse…C'est ainsi que les prisons se sont remplies un peu "artificiellement".
  • Enfin, il y a à l'évidence une surpopulation carcérale de ressortissants étrangers, car le sursis n'est que très peu accordé à des personnes qui n'ont aucun statut en Suisse, de même que la détention provisoire, pour raison de risque de fuite, est beaucoup plus prononcée par les procureurs pour cette catégorie de délinquants au regard des résidents permanents.



Entremont Autrement : peut-on vous reprocher d'être trop optimiste?

Olivier Guéniat : On me caricature volontiers avec des lunettes roses (ma femme la première! http://www.hebdo.ch/les-blogs/gu%C3%A9niat-olivier-polisse?page=1). Mais, mes avis sur la criminalité sont basés essentiellement sur les indicateurs à disposition (statistique policière de la criminalité, statistique judiciaire, statistique pénitentiaire, les sondages criminologiques) et non sur des aspirations politiques. Si les indicateurs vont dans un sens, alors je suis ce sens, s'ils vont dans un autre sens, je change de cap. Ainsi, les choses sont claires et je suis serein face à mon honnêteté et mon intégrité intellectuelles.

Entremont Autrement : quel message  voudriez-vous faire passer aux citoyens suisses qui vont élire les parlementaires fédéraux le 18 octobre 2015 ?

Olivier Guéniat : je propose à chaque citoyen de ne pas succomber aux discours politiques sécuritaires qui portent sur les peurs, notamment ceux qui remettent en cause l'espace Schengen, car celui-ci représente une énorme avancée au niveau de notre sécurité nationale, notamment en lien avec l'échange de données entre les polices suisses et européennes, mais aussi par rapport au nombre de délinquants ayant sévi en Suisse qui se font arrêter partout en Europe. Il faut croire que la sécurité de la Suisse ne repose pas sur son repli, mais sur son ouverture et sa collaboration avec l'Europe, même si c'est difficile à accepter. Enfin et pour terminer, il ne faut jamais succomber non plus à toute les idées simplistes visant à résoudre des problèmes sécuritaires complexes, car elles ne valent trop souvent rien.

Nous vous remercions beaucoup Monsieur Guéniat pour vos éclaircissements et explications, et pour le temps que vous avez bien voulu consacrer à nos questions. Espérons que vos réponses intéresseront nos concitoyens et leur permettront d’élire nos représentants à Berne avec toute la clairvoyance nécessaire.

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http://www.css.ethz.ch/publications/pdfs/Sicherheit-2015.pdf

1 commentaire:

  1. Vos réponses sont claires et détaillées, et le tout est argumenté. Ceci démontre votre passion pour ce que faites et le sérieux avec lequel vous avez pris la demande d'interview d'EA. MERCI M. Guéniat.
    Par ce nouvel interview, EA démontre une fois encore qu'il préfère la mise en avant de fait à de simples extrapolations. Espérons que nos lecteurs apprécient nos démarches à leurs justes valeurs.

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